Deux poids, deux mesures
- Maude Desbois
- 26 janv. 2024
- 5 min de lecture

Maude Desbois, autrice, communicatrice environnementale, Mère au front pour Noah, Florence, et tous les enfants du monde
« Tout ce que les humains font a un impact sur l’environnement »
- Steven Guilbeault -
C’est ce qu’indique l'en-tête d’un article daté du 18 janvier, rapportant les dires de notre élu fédéral. Le ministre Guilbeault n'est pas inquiet, lui, par le projet Northvolt. La nuance et le contexte sont toutefois à considérer lorsqu’on émet de tels propos. Une bicyclette et un Hummer laissent assurément tous deux une empreinte carbone, marcher en forêt et produire une monoculture de masse aussi. L’ampleur de cette trace, ses impacts directs et collatéraux, eux, ne sont certes pas équivalents.
« C’est un grand projet industriel. On en a fait d’autres et il y en a d’autres comme ça au pays. » ajoute-t-il
La demande d'injonction en cours et les revendications citoyennes ne résident pas uniquement dans ce seul « chantier industriel record » que représente la méga-usine de batteries. Tous deux sonnent l'alarme pour les projets qui suivront et pourront éventuellement se soustraire, eux aussi, aux examens nécessaires avant leur implantation sur le territoire québécois. La problématique soulevée par des citoyen·nes et des groupes environnementaux faisait initialement référence à l’évacuation de l’examen du BAPE dans le dossier Northvolt.
D'ajouter que « si on l'a fait avant, on peut encore le faire » n'est pas plus rassurant venant de la bouche de notre ministre de l'environnement. Ne veut-on pas un Québec exemplaire en matière d'innovations et de prise en charge dans le domaine de la lutte aux changements climatiques? N'est-ce pas ce dont François Legault s'enorgueillit publiquement?
Pas d’acceptabilité sociale sans BAPE
L'inquiétude communiquée à l’heure actuelle comprend également la dimension de ce relâchement apparent de nos gouvernements face aux normes et aux règles établies pour la protection de la biodiversité, de la planète et des humains. Que l’on parle des règlements entourant le BAPE, de la diminution des inspections de projets à risque pour l'environnement, des normes québécoises sur la quantité d’arsenic et autres métaux lourds présents dans l’air à Rouyn-Noranda révisée à la hausse; il serait, je crois, très inquiétant si personne ne se soulevait contre ces abus de pouvoir.
Si nous commençons (continuons) à changer les règles à qui mieux mieux, facilitant ainsi la venue des méga-industries, des projets immobiliers de moyenne et grande envergure, dans le but de leur rendre la tâche plus aisée en évitant ce qui, finalement, demeure le plus important, il est évident que cela nous préoccupe grandement en tant que population. Il est nécessaire de s'assurer de l'application des lois et règlements qui ont été établis et votés dans un but précis, répondant à des besoins évidents au niveau humain et environnemental.
Si l’acceptabilité sociale est décrite comme étant « vague, floue et non définie » par Steven Guilbeault, il n’en demeure pas moins que, présentement, il n’y a pas consensus auprès de la population. Il a d’ailleurs soulevé que cet argument était employé, dans ce cas-ci, « pour dire que le projet [Northvolt] ne devrait pas se faire. », alors que les revendications du Comité Action Citoyenne : projet Northvolt, ainsi que la demande d’injonction à la cour supérieure déposée par le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE) le 18 janvier, ne vont pas en ce sens.
Courts-circuits et raccourcis
Les décisions politiques empruntant des raccourcis ont été justifiées en indiquant que nous voulons, d’une part, l’accélération dans la lutte aux changements climatiques, sans toutefois accepter que la population puisse être court-circuitée pour faciliter les décisions gouvernementales, et qu’il s’agit là « d’un défi de société ».
Ajoutons que les Premières Nations n’ont pas été consultées dans ce dossier, alors qu’il incombe aux gouvernements d’interpeller les peuples autochtones dans le cadre des évaluations environnementales des grands projets (comme celui de Northvolt). Les impacts sur « les droits ancestraux ou issus de traités » font partie des processus d’étude des projets, mais sont aussi inclus dans les rapports d’évaluation et dans les conditions fixées pour l’autorisation. Un autre court-circuit pour le bien de la communauté?
Le Conseil mohawk de Kahnawake a lancé, en ce sens, une action en justice contre les gouvernements du Québec et du Canada dans le dossier Northvolt, indiquant que l’autorisation du projet a été accordée sans respecter « le devoir de consultation » des Premières Nations.
Qu’est-ce qui empêche nos gouvernements d’exiger que toutes les entreprises, compagnies, méga-corporations, soient soumises aux mêmes règles? C’est bien là une question qui n’a pas trouvé de réponse consistante dans la bouche de nos élu·es.
Payer pour compenser
Les plans de compensation prévus dans de tels cas sont certes louables. Il en demeure que nous ne discutons pas ici de changer un vase de place sur une table de nuit. Reconstruire ce que les écosystèmes créent naturellement en fonction des besoins du milieu reste complexe et demande du temps avant d’atteindre leur plein potentiel. Va-t-on envoyer un communiqué aux animaux qui transigent par ce corridor écologique pour leur dire d’aller mettre leurs œufs ailleurs? D’aller se poser sur d’autres branches puisque leur trajectoire a été modifiée? Les tortues-molles à épines recevront-elles un avis d’éviction afin de quitter les lieux avant le passage de la machinerie? Loin de moi l’idée de faire des raccourcis; le constat demeure que le concept est crédible par écrit. Une fois appliqué, c’est un autre récit.
Dans sa décision de refus, datée de mars 2023, le gouvernement indiquait [...] que la diversité d’étangs et de marais « fournit une variété d’habitats pour les espèces vivantes, ce qui permet le maintien de la biodiversité dans un contexte où les milieux naturels sont rares et où les pratiques agricoles et le développement urbain homogénéisent le paysage ».
- Extrait du journal Le Devoir -
Dans le règlement sur la compensation pour l’atteinte aux milieux humides et hydriques*,
le Ministère met de l’avant l’approche d’atténuation « éviter-minimiser-compenser » et que « la compensation devrait toujours être envisagée en dernier recours », puisqu’il est difficile de réellement remplacer les fonctions d’un milieu d’origine*.
Nous ne sommes pas dupes. Ces projets en sont de longue haleine, bien réfléchis, calculés et mesurés en tous points. Rien n'est laissé au hasard, hormis la population, et les espèces habitant ce territoire.
Notre gouvernement semble nous dire que, quoi qu’il en soit, nous pouvons couper sans demander, changer les règles à notre avantage, décider sous le sceau béni des bénéfices multiples pour le peuple québécois, tout en faisant fi des enjeux majeurs que représentent les changements climatiques pour toutes les communautés, de notre nombril québécois à la grandeur de l’humanité.
Que la demande d'injonction provisoire déposée par le CQDE ait été rejetée par la Cour supérieure du Québec n'enlève rien au propos de fond.
Il n’y a pas de « planète B », pas plus que « Plan B » n’existe pour s’extirper des bavures politiques. C’est le rappel que nous faisons collectivement, et une occasion pour vous, cher·es élu·es, de vous prêter à votre propre jeu.
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