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Réfléchir autrement ces corps qui sont les nôtres


Réfléchir autrement ces corps qui sont les nôtres
Texte paru dans Le Devoir

J’avais déjà entamé l’écriture de ce texte au moment où Josée Blanchette a publié une chronique abordant certains enjeux liés au poids et à l’apparence physique dans Le Devoir. J’ai été touchée par son histoire personnelle et ébranlée, une fois de plus, de constater que nous sommes nombreux·ses à vivre ces luttes quotidiennes. Cela démontre à quel point nous nous retrouvons plus que jamais sous l’emprise de systèmes auxquels nous avons été conditionné·es et auxquels nous contribuons de diverses façons.


Lors d’un brunch avec des amies, les conversations allaient dans toutes les directions. S'enquérant de la vie de l’une, des nouveautés de l’autre, de la grossesse d'une telle, et inévitablement nous en arrivâmes au sujet que je redoutais. Le poids. Les vergetures. Le corps postnatal. L’apparence physique en général. Ça m’a fait de la peine de les écouter, de sentir les restrictions de certaines, les luttes intérieures qui sous-tendent ces sujets de small talk autour d’un repas. Parce que je ne connais que trop bien ce chemin de la douleur d’un corps que l’on voudrait différent, que l’on trouve laid. J’effleure tout juste la libération de cette prison que peut, trop facilement, devenir l'obsession du corps dans ses moindres replis. Je comprends maintenant que j’ai eu un physique que l’on qualifierait de « privilégié ». Je ne le voyais simplement pas. Ajoutons que, dans notre imaginaire collectif, une femme mince ne peut certainement pas souffrir de son apparence. Je voulais seulement habiter un autre espace que le mien. Je n’envisageais même pas que je pouvais être aux prises avec des troubles alimentaires, ne m'identifiant pas à ce dont nous entendions parler lorsque j’étais enfant qui se limitait à l’anorexie et à la boulimie. (J’avais d’ailleurs été fascinée par l’épisode de Janette Bertrand sur le sujet.) Je n’étais dans aucune de ces cases, donc tout allait bien.


Peut-être vous reconnaissez-vous dans ces lignes. Dans cette image de vous-même, déformée par rapport à ce que renvoie la réalité, regardée sous la loupe du capitalisme et de l’industrie de l’amaigrissement. Des idées préconçues et internalisées. Des dogmes culturels. De la performance. D’un idéal qui fait rouler l’économie de la chirurgie plastique et des interventions dites esthétiques. Des médicaments, coupe-faim, produits miracles qui nous promettent l'instantanéité du corps rêvé, sans effort et en un temps record.


Une véritable industrie


Nous sommes continuellement bombardé·es d’une variété de messages à l’apparence banale sur les couvertures de revues (au lectorat majoritairement féminin), les publicités de produits de beauté, les emballages de nourriture dont la cible non dissimulée demeure la population féminine. Plus de 95% des femmes se retrouvent dans la proportion vue comme étant « différente », alors que seulement moins de 5% correspondent aux normes de beauté imposées par notre société, le marketing et l’industrie de la minceur en Amérique du Nord. Cinq pour cent. Je me répète ce chiffre chaque fois que je vis une journée difficile, afin de me rappeler qu’une grosse machine exerce sur nous une pression constante et nourrit l'inconfort perpétuel.


Selon un rapport de 2021 de l'Association pour la santé publique du Québec, l'industrie de l'amaigrissement a rapporté 176 milliards de dollars américains en 2017 à l'échelle mondiale et pourrait s'élever à 246 milliards de dollars américains pour l'année 2022*. En 2017, une étude a démontré que les troubles alimentaires touchent plus de 300 000 Québécois·es, et que quatre femmes sur cinq sont insatisfaites de leur poids.


C’est une « industrie ». Cela veut donc dire qu’il y a une tonne d’études de marché, d’analyses psychologiques effectuées afin de maximiser le positionnement de marque, les stratégies de vente et de communication autour de ces produits et tendances. En somme, ils génèrent une problématique à laquelle ils répondent ensuite en nous vendant la solution miracle à notre « problème », à coup de milliards en profits. Viennent également s’immiscer les influenceur·ses qui, sous des apparences de bonheur idéalisé, de luxe, de perfection, alimentent les dissonances cognitives, les biais cognitifs, qui altèrent notre réalité et nous amènent à adhérer à ce qu’ils·elles souhaitent nous vendre (pour notre bien-être, évidemment!). Il est si aisé de se laisser aller à y croire.


La bouchée de trop, l’hyperconscience corporelle, la pression sociale, la culpabilité, l’exclusion volontaire ou imposée, la solitude; sont monnaie courante pour beaucoup de personnes vivant avec des troubles alimentaires, avec une insatisfaction de leur image corporelle, dans un corps gros ou différent des normes sociales valorisées et des modèles véhiculés par l’industrie de la minceur. Il s’agit littéralement d’aspects désormais considérés comme un problème de santé publique. Je n’aborderai pas ici le vaste monde de la chirurgie plastique et des interventions esthétiques.


Un déni collectif


Au-delà du corps de la femme déjà tant de fois stigmatisé, violenté, abusé, objectifié, diminué, contrôlé, possédé, exploité de tant de manières différentes, nous vivons dans une ère du mal-être généralisé, puisant ses sources à même la crise systémique, environnementale et sociétale. Exacerbé par le numérique, certes, et nourri de toutes parts. 


Il n’y a pas de filtre sur l’accélération que nous prodigue l’accès à toute information en permanence. Le scrolling sur Instagram, TikTok, YouTube, ces plateformes numériques où la possibilité d’une image et d’une présentation contrôlées ou même altérées sont monnaie courante et extrêmement tentantes. Ces mêmes applications représentent tout un monde d’opportunités de comparaisons sociales et physiques qui frôlent l'obsession et génèrent une grande anxiété. Cela s’accompagne bien souvent d’un sentiment d’échec face à notre niveau de réussite professionnelle et personnelle, en plus d’augmenter notre insatisfaction corporelle. Cette mascarade finit par prendre des airs de performance olympienne que peu d’entre nous ont la capacité de maintenir et qui, dans tous les cas, n’est saine pour personne. Ces critères de « réussite sociale » sont d’ailleurs fortement associés aux normes de beauté et au corps mince pour la femme, et ce, depuis de trop nombreuses années.


Nous vivons dans un déni collectif sur tellement de plans qu'il devient de plus en plus ardu de se sentir connecté à quelque chose de vrai. Plus le brouillard est dense, plus il est facile d’être contrôlé par ce qui se trouve à l’extérieur de soi en espérant être enfin soulagé·e de notre « mal ».


J’aimerais que nous ayons l’espace mental pour prendre conscience collectivement de notre façon de parler de nous-mêmes, de qualifier l’apparence physique de nos collègues, amies, vedettes de la télé, inconnues dans la rue. Je voudrais nous entendre réfléchir autrement ces corps qui sont les nôtres et qui nous portent chaque jour de notre vie, nous permettant d’accomplir des choses extraordinaires. D’enlacer, d’aimer, de défendre, de lutter, de travailler, d’enfanter, d’avoir du plaisir, et ce, peu importe leur format. Je nous souhaite d’être suffisamment lucides pour ne plus accepter le cadre restrictif du culte de la minceur et de la beauté au prix de notre malheur; pour refuser ces paramètres basés sur des stéréotypes correspondant à une mince proportion de la population mondiale, et ayant été définis comme étant le but à atteindre pour être bien, heureux·ses, et arriver au succès escompté. Nous sommes tellement plus que ça.




*Lire ce texte dans Le Devoir



Mes ressources préférées qui me font du bien et servent à m’éduquer sur les questions des troubles alimentaires et de la grossophobie :


Le balado - À plat ventre (Loounie)

Le balado - Au-delà du miroir (Groupe Équilibre)

Le balado - Le maudit poids (Sarah Normandin, nutritionniste)

Le groupe Équilibre

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