Le Hummer dans la pièce
- Maude Desbois
- 25 juin 2023
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 26 avr. 2024
Récit urbain sur fond de feu de forêt, par Maude Desbois
À mon réveil, l’odeur de fumée a précédé la vue du ciel par ma fenêtre. Un sentiment d’urgence a surgi et j’ai tourné la tête pour regarder. L’étendue opaque et orangée, la lumière rougeoyante du soleil voilé de feux de forêt. Boule au ventre. Les larmes sont montées en même temps que la lourdeur de mon inaptitude à faire quelque chose pour venir en aide.
Alors que j’étais assise dehors malgré les recommandations de se cloîtrer, une magnifique biche, vraisemblablement allaitante, est venue me rendre visite; l’anxiété a de nouveau frappé. Qu’est-ce qu’on a fait? Pourquoi devoir se rendre jusque là? Précipiter la fin. Cracher dans la main de celle qui nous nourrit, nous abreuve et nous permet de respirer. J’ai marché dans ce paysage enfumé, sac au dos, pour trouver un lieu où me poser et écrire. Je me suis arrêtée, chemin faisant, pour observer les abeilles butinant les fleurs sauvages du paysage Laurentien; les papillons insouciants au cœur de cette image féérique, petit univers préservé dans la minéralisation humaine, et je nous ai trouvés d’une incommensurable pesanteur.
J’aurais pu laisser monter la colère, l’indignation; mais c’est mon désespoir de femme blanche issue de la classe moyenne qui a crié le plus fort. Malgré les conditions dans lesquelles je suis née et que je considère comme privilégiées, je ne me sens pas moins concernée par les crises socio-environnementales et climatiques. Je ressens l’urgence dans ma chair depuis l’enfance. Cette peur profonde de voir le monde partir en fumée. Le besoin de tout mettre en œuvre pour préserver et honorer ce que la nature met généreusement à notre disposition. C’est dans cette abondance que se trouve le test ultime de notre présence ici. Que ferons-nous de cette opulence?
Les dérèglements climatiques n’ont pas le souci de l’équité et de l’inclusion. Les catastrophes naturelles n’épargnent personne, mais touchent plus naturellement les communautés marginalisées, repoussées aux extrémités pour cause d’embourgeoisement, de prospection et de pouvoirs mal placés. Au sein même des grandes villes, on retrouve des parties de la population plus affectées pour plusieurs raisons évidentes lorsqu’on en dresse la liste. Minéralisation abusive, perte de diversité biologique, diminution de la canopée, accès à des espaces verts limités ou inexistants, accès restreint ou totalement absent à des aliments frais, de qualité et abordables, mauvaise qualité de l’air souvent causée par la proximité de routes achalandées et par le manque d’arbres, problèmes de santé plus importants et fréquents, logements délabrés et insalubres, etc.
Je nous souhaite des dirigeant·e·s qui se sortent la tête du sable et foulent les mêmes sols que nous. Des élu·e·s qui osent porter nos lunettes et regarder par la même fenêtre.
Nous appelons aujourd’hui à la solidarité envers les citoyen·ne·s que les feux ont déraciné·e·s de leurs milieux de vie. Des photos d’animaux en fuite font les manchettes et je pleure notre manque d’humanité. Le nez plongé dans nos écrans, avalés par les fils de nouvelles comme s’il s’agissait de la dernière fiction à écouter en rafale; la vérité est que nous n’avons jamais été aussi déconnectés de nous-mêmes, des autres et de ce qui nous entoure. Notre insatiable soif nous mènera à la sécheresse la plus totale. Nous avons le problème sous les yeux, nous avons le pouvoir d’éteindre ou de nous laisser consumer; et même si nous avions des vallées infinies où puiser l’énergie du futur, aucune transition ne nous suffira, pas même à dos de char d’assaut.
Le monde des fictions d’horreur peuplé de zombies, porte aujourd’hui le visage de l'ère numérique et de l’engourdissement collectif dans lequel nous nous noyons chaque jour davantage, en laissant nous filer entre les doigts ce qu’il reste de beau et d’essentiel.
On dit que le silence est d'or, mais ici, il a le poids d’un vaisseau blindé que les plus forts ont décidé de chevaucher. Ils ne regarderont que leur cible, oubliant que l’éternel ne nous appartiendra jamais et que nous serons les prochains évincés, sans égards à notre titre ou notre cote en bourse.
Comme l'a si bien dit Diego Creimer dans une publication sur LinkedIn* il y a quelques semaines, invitant les gens à prendre la parole et à donner aux organismes travaillant sur le terrain à éteindre les feux et venir en aide aux sinistrés; on est en train de regarder le bateau couler les bras croisés comme autant de Titanics dans les eaux noires, courant d'une catastrophe à l'autre en silence pour ne pas froisser les réalités, alors que notre parole est l'une des armes les plus actives et puissantes que nous possédions individuellement et collectivement. Osez parler, communiquer; aidez là où vous le pouvez dans la mesure de ce qui vous est accessible; laissez-vous toucher par ce qui se passe pour que cette force inhérente à tout ce qui vit émerge et vous donne l’élan de sortir de l’asphyxie latente.
J’aurais aimé écrire du doux et du léger, de la beauté et des mots émerveillés pour vous aujourd’hui. Pourquoi me mentir?
Je nous souhaite des dirigeant·e·s qui se sortent la tête du sable et foulent les mêmes sols que nous. Des élu·e·s qui osent porter nos lunettes et regarder par la même fenêtre. Des représentant·e·s qui construisent des plans sur plus de quatre ans, en cohérence avec les recommandations et les rapports des scientifiques, qui travaillent activement à la réduction des gaz à effet de serre et au plafonnement des émissions du secteur pétrolier et gazier, qui œuvrent pour l’adoption de mesures ambitieuses, relatives au niveau de l’urgence climatique, qui font preuve du courage politique nécessaire pour aller ensemble vers un monde plus juste et écologique. Je nous souhaite de la beauté, de la légèreté et de la douceur, des flots d’émerveillement et de la solidarité.
*Diego Creimer, Directeur, Finance et Biodiversité - Société pour la nature et les parcs (SNAP Québec). Lien vers la publication
*Photo de couverture représentant la route 167 entre Chibougamau et Mistassini, par Natasha Erickson
Maude, tes textes sont puissants. Émouvants. Je te remercie de tes partages perso qui ajoutent une couleur unique aux récits et visions et invitent inévitablement à la réflexion. À l’ouverture vers la différence. J’en veux plus:-) au plaisir de lire de nouveaux écrits ☺️