Journée nationale des patriotes - Je me souviens (pas vraiment!)
- Maude Desbois
- 22 mai 2023
- 5 min de lecture
Constat d’une femme issue de la génération Y
Par Maude Desbois
Je me suis assise ce matin avec le propriétaire du café de mon quartier que je fréquente régulièrement et nous avions le même constat : je ne sais pas vraiment quelle est l’histoire des patriotes et le pourquoi de cette journée nationale.
Pour plusieur·e·s, il s’agit d’un congé pour souffler un peu, d’un vague rappel d’hommes affublés d’une ceinture fléchée, pipe au bec et arme au poing; d’autres se souviennent de la signification historique de cette journée et les journaux nous informent de ce qui sera ouvert ou fermé pour l’occasion.
Pour ma part, je l’avoue en toute humilité, je n’ai jamais étudié concrètement la provenance de ce jour férié. Je me perçois pourtant comme une femme engagée au niveau politique et environnemental dans ma communauté et bien au-delà. Ce que je connais des patriotes et de leurs accomplissements est le peu qu’on m’en a dit à l’école. Je me rappelle, adolescente, des propos de québécois « pure laine » qui sortent le jour de la Saint-Jean-Baptiste le visage bariolé de bleu, pour crier un Québec libre et souverain. Mon niveau de connaissances aboutit donc en un bel amalgame de nationalisme flou.
Voulant remédier à cette absence de connaissances sur des événements qui ont contribué à forger ce que nous sommes en tant que peuple et me questionner sur le fait que j’en sais si peu, j’ai fouillé sur Internet et dans les journaux pour trouver ce qui se disait. Je m’attendais à trouver une multitude d’articles engagés, un « d’hier à aujourd’hui » ou quelque chose du genre. Je me suis heurtée à un mur de pas-grand-chose-sur-le-sujet. J’ai déniché quelques articles datant de l’annonce du décret de cette journée en 2002 et des références officielles et historiques sur le site de notre gouvernement provincial.
« Ce jour férié soulignera la lutte des patriotes de 1837-1838 pour la reconnaissance nationale de notre peuple, pour sa liberté politique et pour l’obtention d’un système de gouvernement démocratique. » *
Liberté politique. Gouvernement démocratique. Ce sont les mots qui accrochent dans ma tête quand je lis ce paragraphe explicatif, sachant très bien que de plus en plus de québécois·es dénoncent le fait que nous n’avons pas une « vraie » démocratie et qu’ils ne sont, de toute évidence, pas entendus et écoutés (se faire refuser une réforme de scrutin qui permettrait une représentativité plus réaliste et équitable des idéaux politiques et sociaux de la population en est un bel exemple).
Démocratie : Forme de gouvernement dans laquelle la souveraineté appartient au peuple.*
Souveraineté : Autorité suprême.*
Je ne pense pas avoir besoin ici d’expliquer le résultat du calcul dans ma tête et les qualificatifs qui l’accompagnent.
De 1837 à 1841, les droits de la personne ont été abolis en réponse aux luttes menées par les patriotes. On nous punit. L’opposition se fait pointer du doigt et on nous invite gentiment à aller réfléchir dans notre chambre. Sans traverser toute la ligne du temps de notre histoire politique, je suis tout de même d’avis de se servir de nos récits pour observer une progression, une régression ou une stagnation dans les multiples branches qui constituent notre système de société, afin de paramétrer la suite et de nous permettre de choisir.
Cela me rappelle aussi, et surtout, avec à l’appui des exemples récents, que les droits que l’on nous octroie ne sont pas acquis, qu’ils demeurent à la merci de décideur·se·s qui se placent au-dessus de la population et qu’il faut sans cesse surveiller nos arrières au risque de se faire enfirouaper une fois le dos tourné. Le but n’est pas ici d’abolir les hiérarchies et de renverser nos gouvernements (bien qu’une table rase de temps à autre permet un re-calibrage et une vision dégagée de la situation).
Je vous invite à prendre un moment aujourd’hui pour vous questionner sur la place du peuple dans les prises de décisions; sur le pouvoir que nous avons laissé entre d’autres mains, mais qui nous appartient; prenez un instant pour faire une introspection sur ce « syndrome de l’imposteur » qui vient nous happer lorsqu’on aimerait lever la main pour parler. « Je n’y connais rien moi en politique » « Je n’ai pas étudié ça les lois, alors ma voix ne compte pas » « Pourquoi on m’écouterait, moi?! ». Nous nourrissons ce sentiment d’incapacité à se prononcer publiquement, mais on s’en sent tout à fait capables quand on s’indigne avec la voisine sur la dernière annonce de permis de forages pétroliers dans un refuge marin protégeant la biodiversité et les espèces menacées, ou bien que l’on discute à l’heure du souper des systèmes de santé et d’éducation plus que défaillants au Québec. Pour moi, c’est un peu comme si on s’autoproclamait incompétents à être des humains. Pourtant, chaque personne est en mesure d’identifier un inconfort, un sentiment d’injustice, un désir de changement, une indignation. Pas besoin de connaître les rouages politiques et législatifs complexes pour parler des résultats déplorables découlant des décisions aberrantes, assumées par nos dirigeants, au nom de tous·tes (il faut bien commencer quelque part!). Au bout du compte, c’est nous et nos enfants qui vivons avec les impacts sans avoir un mot à dire. Belle démocratie.
Certes, ce que je constate encore aujourd’hui, c’est que les exercices démocratiques ont évolué, le semblant de pouvoir également, mais la réelle prise de décision est toujours loin de nous, le peuple.
Les patriotes de notre époque
Désengagement politique, désintérêt, déni? C’est fini!
« La lutte patriote fut donc aussi un vaste exercice de prise de parole pour des milliers d’agriculteurs, d’ouvriers et de notables, lésés dans leurs droits civils et nationaux, et qui ont alors senti de leur devoir d’affirmer haut et fort ce qu’ils souhaitaient pour eux et pour leur collectivité. » *
Ce sont des luttes qui me paraissent étrangement familières encore aujourd’hui et qui semblent n’avoir jamais cessé.
Outre les groupes militants qui ont de toute époque existé, je dénote tout de même depuis quelques années un retour du balancier; une mobilisation grandissante des populations avec le souhait de se réapproprier ce pouvoir, ce droit. Redonner un sentiment de compétence et de validité aux citoyen·ne·s est essentiel pour qu’ils et elles osent prendre la parole, revendiquer et faire des actions en adéquation avec leur vision du présent et de demain. Il y a tout un pan de la collectivité qui est épuisée d’avoir l’impression de pelleter des nuages et de se faire envoyer dans le coin de la classe pour réfléchir.
Les groupes citoyens se multiplient dans les collectivités et suscitent un engouement marqué. Je peux sentir l'effervescence et le désir profond de se rallier à des gens qui partagent les mêmes convictions et se tiennent debout, ensemble. C’est l’écœurantite aiguë généralisée qui aura raison de ce silence, de l’inertie qui nous cloue au sol. Ce qui semblait en désuétude ou appartenir à quelqu’un d’autre que nous, apparaît maintenant comme étant une partie de la réponse, et ce, pour une variété de générations et une multitude d’individus, toutes catégories confondues.
Prendre la parole sur la place publique, c’est s’exprimer aux conseils de ville et d’arrondissements et participer aux consultations citoyennes; c’est s’informer et relayer les appels à la population à prendre part aux décisions et à se mobiliser. En multipliant les occasions et notre présence sur le territoire politique, nous validons notre intérêt à y contribuer, nous délaissons le pilote automatique pour reprendre les commandes et exercer nos droits, car nous pouvons être à la fois l’addition et le résultat. Nous pouvons, chacun·e à notre manière, être les patriotes d’aujourd’hui.
Sur cette réflexion qui se veut humble et candide, je nous souhaite une bonne journée nationale des patriotes; qu’elle soit synonyme de repos, d’histoire ou de rien du tout. Et souvenez-vous que chaque personne est un rouage essentiel à la progression de sa communauté.
Merci à Francis Waddell pour la révision de ce texte.
*Extrait du texte sur la journée nationale des patriotes http://www.1837.qc.ca/presentation.htm
*Définitions tirées du dictionnaire Le Robert
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