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Entre clivages sociaux, précarité et valeurs profondes

*Version intégrale


Par Maude Desbois


Tranche de vie

J’étais dans les premières de mon réseau à adopter un mode de vie qui tendait vers le zéro déchet, à chercher des solutions pour réduire mon empreinte écologique. Je lisais avec avidité les livres de Laure Waridel; je suivais l’actualité environnementale via Greenpeace et Équiterre, je cuisinais presque tout; j’avais mon panier de légumes biologiques, la liste rouge sur mon réfrigérateur et je croyais, à tort, que tout le monde avait la possibilité de manger consciemment et d’acheter en vrac. Je faisais rire les marchandes en Catalogne lorsque j’y habitais, et que je venais remplir ma boîte d'œufs à même le panier de la fermière, que j’apportais les mêmes sacs à légumes jour après jour. Je peux dire que j’en agaçait plus d’un avec mes demandes de réduction d’emballages dans les épiceries de mon quartier, ou lorsque j'insistais auprès de mes amies pour qu’elles cessent d'utiliser des pellicules de plastique ou d’acheter des aliments gavés de pesticides, tout en leur décrivant l’impact épouvantable sur l’environnement et notre santé. C’était certainement maladroit, et mes amies se sentaient probablement jugées, bien que telle n’était pas mon intention. J’étais seulement enthousiaste de partager les solutions à notre portée et de montrer que nous avions un pouvoir sur notre vie et un impact sur le monde. À force de les voir rouler des yeux, j’ai arrêté d’en parler.


J’ai accouché de mes deux merveilleux enfants; je les voulais heureux, épanouis, en bonne santé, dans un milieu de vie sain et équilibré, connectés à la nature. Le besoin de protéger s’est fait encore plus pressant. Nous habitions en ville où nous avons eu l’immense chance de pouvoir acheter un duplex avec mes parents, il y a de cela dix ans maintenant.


La réalité plus vraie que vraie

Après ma séparation, lorsque l’intégralité des factures à payer s’est reposée sur moi, l’endettement a été de pis en pis, alors que je tentais de maintenir le même niveau de vie, seule.


Acheter c’est voter, mais pour voter il faut avoir le portefeuille qui va avec. J’avais déjà abordé le sujet de l’accessibilité du mode de vie zéro déchet en matière de disponibilité sur le territoire et de coûts, dans le cadre de mon émission de radio hebdomadaire, et à l’occasion de l’animation d’un panel avec Équiterre. J’y goûtais à présent. J’étais celle qui devait choisir entre payer les factures en éternelle expansion et nourrir mes enfants selon mes normes personnelles et mes valeurs. À l’âge tendre de 40 ans, avec l’emploi le plus stable que j’aie jamais eu, j’allais vers les rabais de la semaine pour composer nos repas en faisant fi du fait que je devais acheter des aliments dans des emballages (de un!) non recyclables (de deux!), qui contenaient des pesticides et contribuaient à une économie qui pense à son profit à tout prix et détruit la planète. À ce moment-là, je me suis rendu compte qu’il faut, d’une part, être dans un milieu privilégié avec des conditions au-dessus de la moyenne pour faire aller les bottines avec les babines; que la classe moyenne, dont je fais partie, était l’un des nouveaux visages de la pauvreté; et que j’avais été très chanceuse de pouvoir être en complète cohérence avec mes valeurs pendant toutes ces années.


Je me frappe constamment aux murs du temps; aux journées trop longues, aux nuits trop courtes, tout comme la plupart des gens autour de moi. L’achat en vrac, par exemple, demande de l’organisation, de l’accessibilité et un certain budget. Si la charge financière relative à ma vie de mère monoparentale continue de s’intensifier, le nombre d’heures dans une journée n’a pourtant pas changé, lui. Je travaille sans relâche et je garde des moments précieux avec mes enfants; temps que je préserve scrupuleusement dans mon horaire, peu importe les crises financières et les « obligations » de la vie.


Les choix appartiennent à ceux qui peuvent payer

La vérité, c’est que les choix sont finalement limités, et appartiennent encore une fois à une seule partie de la population. Ma nouvelle situation m’a obligée à me positionner différemment face à bien des aspects qui me semblaient pourtant évidents et acquis. Comme quoi, chacun a son niveau de réalité, agit et fait des liens en corrélation avec celui-ci. Je connais pourtant très bien les dossiers relatifs à l’insécurité alimentaire et la grande précarité qui écrase quotidiennement des milliers de foyers québécois, pour avoir abordé ces sujets à plusieurs reprises dans le cadre de mon travail. En mai 2022, on estimait à 15 % la proportion de personnes vivant de l’insécurité alimentaire modérée ou grave, soit environ 1,3 million de personnes au Québec, selon le rapport de l’Observatoire québécois des inégalités. Ces chiffres continuent d’augmenter chaque jour. Saviez-vous que le Canada est l’un des rares pays à ne pas avoir de programme universel d’alimentation scolaire?


Alors que l’accès au logement n’a jamais été aussi épouvantable que cette année, que des centaines de familles se sont retrouvées à la rue encore une fois, faute de pouvoir payer le prix; que la discrimination face aux locataires n’a de cesse de se multiplier, que le premier ministre actuel nous « rassure » ici et là en affirmant que de grandes décisions sont prises pour l’avenir du Québec, le doute s’impose. Mes exclamations me précèdent et grimpent plus vite que la hausse du coût de la vie lorsque je lis l’actualité. La population ploie tranquillement, mais sûrement sous le poids d’un système qui ne lui ressemble pas et qui, surtout, ne répond pas à ses besoins de base.


On peut alors s’imaginer que, pour une grande partie des citoyens et citoyennes, l’achat en vrac, zéro déchet, local, biologique et les initiatives environnementales, ne se retrouvent même plus sur la liste des priorités. L’accès à un milieu de vie sain et des conditions adéquates est réservé à une proportion qui diminue dramatiquement au fil des mois. Si la richesse appartient aux privilégiés, la pauvreté, elle, est pour tout le monde.


On a porté à mon attention, il y a plusieurs semaines, vers un article qui parle des applications dédiées à la récupération d’invendus en épiceries pour les vendre à moindre coût. Le questionnement soulevé par le journaliste était de savoir si ce type de projet nuit ou non aux banques alimentaires qui en arrachent pour subvenir aux besoins criants des nouveaux arrivants, des familles, des aînés et des personnes seules qui n’ont plus les moyens (temporairement ou de manière permanente) de se nourrir. Les listes explosent et les équipes, au bord de l’épuisement, n’ont jamais eu autant de demandes. Le constat auquel nous étions arrivés lors d’une discussion avec un employé d’une banque alimentaire de Montréal était que, pour que les gens dans le besoin puissent en profiter, encore fallait-il avoir un téléphone intelligent, des données internet, une carte de crédit ou Visa débit pour payer en ligne, un compte bancaire, bien comprendre la langue (anglais ou français si on pense aux nouveaux arrivants), savoir se servir d’un appareil, d’une application, etc.


La réponse est donc que, non, ce n’est pas accessible pour elles·eux. Reste que la diminution du gaspillage alimentaire est extrêmement positive et l’objectif n’est pas de cracher sur les initiatives mises en place. Je prends seulement ici l’angle des personnes qui pourraient profiter de ces aliments et qui vivent de l’insécurité alimentaire tous les jours. Je tente de mettre en lumière les multiples clivages invisibles de notre société face aux communautés qui vivent dans la marge. Les « fausses bonnes idées », qui croient répondre aux besoins d’une catégorie qui n’y aura pas accès, qui génèrent (sans le savoir, j’ose croire) d’autres problématiques ou procurent une vision déformée de ce qui compose une solution pérenne et concrète malgré leur bien-fondé. Les univers parallèles coexistent à même nos quartiers, nos villes et villages, et nous les traversons sans même les voir.


La crise climatique ne fait pas que brûler des forêts, accélérer la fonte des glaciers, déranger nos habitudes et notre confort; déraciner et anéantir des espèces qui semblent s’évaporer sans faire trop de bruit. Elle génère de graves problématiques mondiales, comme le déplacement des populations vulnérables qui doivent trouver refuge ailleurs, l’augmentation de la précarité alimentaire, les problèmes de santé accrus et multipliés. Les événements climatiques extrêmes, de plus en plus fréquents, affectent d’abord les couches sociales marginalisées qui vivent le plus souvent dans la pauvreté ou même en situation d’itinérance, sans parler des régions éloignées qui n’ont pas les moyens de leurs besoins.


La fin, plus belle que belle

Je ne prétends pas être parfaite. Je n’ai certainement pas toutes les réponses et je ne m’improvise spécialiste de rien du tout.


Je me considère comme une généraliste de plusieurs sujets relatifs à l’environnement (entre autres) et je n’ai pour laboratoire que ma vie et l’observation faite de celle des personnes qui m’entourent. Constats de société, analyses et ressentis face à ce que je vois, face à ce que je vis au quotidien.


Je suis une passionnée, une curieuse, une amoureuse du vivant et de ce qui le compose, une mère dont l’amour dépasse l’entendement, et je n’arrêterai pas. C’est mon feu intérieur qui fait de moi une militante pour les droits des femmes, pour l’équité, l’égalité et la justice pour tous·tes, pour la protection de l’environnement. Je ne peux être simple spectatrice tout en comprenant ce dont je suis témoin.


Je vous invite ici à ces réflexions et cette recherche de traits d’union entre les gens, à l’image de la forêt nourricière qui ne laisse personne de côté, dont chaque maillon est essentiel et porte un rôle qui influence l’écosystème. Je regarde mes enfants, les enfants des autres, et je me dis que ce serait merveilleux de leur laisser un héritage plus doux que du béton, du bois brûlé et de la peur, assortis d'un fossé si grand entre nous qu’on ne pense même plus à se regarder. J’imagine leurs pieds, nus dans la cendre, à se demander pourquoi. Alors que nous savions et que nous avions les solutions à notre portée. Quand je ferme les yeux pour espérer un peu, je nous souhaite des jardins où l’on peut cueillir et récolter tant de fleurs, qu’on ne voit pas la fin des étendues bourdonnantes et colorées; de vastes forêts vivantes et grouillantes, des lacs où l’on s’immerge sans crainte, de l’air que l’on respire sans compter les nanogrammes et qui sent le tilleul sucré, le pétrichor enveloppant ou le froid des hivers d’ici quand les narines collent tellement on gèle. Offrons-leur cet avenir.


Mère au front pour Noah, Florence et tous les autres enfants.


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